On va commencer ce post sur un ton léger pour compenser ce qui viendra par la suite…
Après une escale au Bahreïn, j’embarque donc pour Delhi. Et le sens inné des indiens pour l’indiscipline fait son apparition dès que l’avion se pose.
On roule encore sur la piste, les voyants lumineux de la ceinture attachée bien visibles, mais tous se lèvent d’un bond, récupérant en vitesse leurs bagages et se dirigeant vers la porte.
L’hôtesse fait une annonce sèche en leur demandant de se rassoir. Mais cela n’a aucun effet, et il faut qu’une hôtesse vienne encore jusqu’à eux leur criant « SIT DOWN !!! But what is your problem ??!!!!! ».
Bienvenue en Inde je vous dis !
Aux aurores, après une heure d’attente au service de l’immigration, c’est donc dans le brouillard matinal que je m’installe dans un hôtel près de la gare. À peine je m’effondre sur mon lit que l’enseigne lumineuse qu’ils ont eu la bonne idée d’installer près de ma fenêtre commence à clignoter de toute part.. génial… un petit air de Las Vegas !
Mais après quelques heures de repos, me voilà toute contente d’arpenter à nouveau cette ville. À
peine je sors que l’odeur si particulière de l’Inde m’envahit. Le temps de quelques respirations avides
que j’en suis déjà imprégnée. Elle ne me quittera plus pendant tout le séjour.
Mais il est temps de plonger dans l’inde fourmillante.. Pour commencer, un tour dans le vieux quartier de Chandni Chowk qui abrite des milliers de boutiques en tout genre :
Où je déguste mon premier repas dans la rue, savourant cela assise sur des escaliers sous le regard des passants.
Où j’ai pu également vérifier que le système électrique de Delhi ne s’est pas amélioré depuis ma dernière visite !
Puis une visite de l’hôpital pour oiseaux près du temple jaïn de Digambara. Autant dire que ce n’est pas l’endroit approprié pour dire que vous adorez les pigeons rôtis aux champignons…
Voilà donc un bout de Delhi, une inde quelque peu épuisante que j’aurais quittée plus tôt si je ne devais pas rencontrer des personnes travaillant pour Caritas Inde.
En effet, de par mes activités bénévoles, j’ai contacté cette organisation dont le siège est à Delhi. (www.caritasindia.org)
Warning : le récit qui va suivre est légèrement glauque. Alors, si pour vous la misère est plus intellectuellement acceptable quand elle est cachée, ne lisez pas ce qui va suivre. (Et je vous comprendrai).
L’idée était donc côtoyer les équipes de Caritas Inde sur le terrain pendant 2 jours afin de mieux comprendre leur mission dans ce pays dont le champ d’action social est infini.
C’est ainsi que j’ai suivi deux programmes en collaboration avec d’autres associations : PHIA (http://www.phia.org.in) et Deepti Foundation (http://www.deeptifoundation.org).
Avec Deepti, Caritas Inde mène à bien un programme d’aide aux plus pauvres atteints du sida. Des travailleurs sociaux visitent chaque famille (600 environ) pour vérifier que les malades prennent bien leur traitement, les aider dans leurs démarches administratives, les accompagner à l’hôpital, etc.. Chaque mois, Deepti donne également le minimum pour pouvoir se nourrir. Dans ce cadre, je les accompagne ce jour-là dans un quartier misérable, il faut bien le dire.
Après avoir passé l’encadrement d’une porte minuscule, deux étroites pièces en enfilade. Au fond, sur un lit, une femme au visage creusé et d’un âge avancé nous attend, au regard impassible, lointain. Sur le mur, une photo encadrée de la même femme plus jeune, le visage illuminé. Le choc est terrible.
Elle est tellement maigre et marquée que je pense que c’est elle la malade. Mais ce n’est que la mère. Le fils vient de nous rejoindre, c’est lui dont s’occupe l’association.
Il tremble, a le visage couvert de plaques et n’est pas beaucoup plus épais. La psychologue de l’association me glisse que le traitement ne fonctionne plus et qu’il n’en a plus que pour quelques mois. Cela me glace le sang, je suis profondément triste pour lui, pour sa mère et infiniment reconnaissante envers ces personnes qui sont là pour les soutenir. Sans ces associations, les malades n’auraient rien, ici pas de sécu qui prend le relais quand un séropositif ne peut plus aller travailler, pas d’aide minimum pour pouvoir ne serait ce que survivre.
On échange, on tente de sourire, de partager et c’est bien là le but de notre démarche. Ils sont heureux d’avoir de la visite, et encore plus d’une étrangère.
Après un moment passé ensemble, il ne faut fatiguer ni le fils ni la mère.
Je dis au revoir à deux morts vivants.
Mais mon immersion au sein du monde associatif indien ne s’arrête pas là.
Mes interlocuteurs me parlent de la communauté des ragpickers. Autant vous dire que je n’avais jamais entendu ce terme auparavant. On peut traduire par « chiffonniers » ou « récupérateurs informels ».
En inde, où la collecte des ordures est loin d’être généralisée, les ragpickers ont un rôle déterminant dans le semblant de propreté des villes. Vous les voyez souvent ramasser les ordures par terre, pour les ramener dans leur bidonville où ils se chargent de les trier avant de les revendre. Pour donner un exemple, un kilo de papier leur revient à 5 rs soit 7 cts d’euro.
En général, ils gagnent donc par jour entre 80 et 100 rs (1,10 € à 1,40 €).
Autant vous dire que les enfants ici sont bien plus utiles pour leurs familles à collecter et trier les déchets que sur les bancs de l’école et qu’ils commencent tous à travailler entre 5 et 8 ans.
C’est donc d’abord avec les familles qu’il faut parlementer pour laisser les enfants aller à l’école des associations. L’école publique n’est pas possible car la majorité des ragpickers ne parlent pas hindi, sont illettrés et les enfants n’ont donc pas le niveau. À raison d’une heure par jour, les professeurs tentent de faire rattraper le retard à ces enfants dont une minorité rejoindra l’école publique.
Pas de success story à la fin malheureusement. Même si certains vont à l’ecole, ils travaillent tous en dehors à trier les ordures. Aucun de ces enfants ne fera d’études et vers 13, 14 ans, ils seront de toute façon obligés de travailler et/ou de se marier. Pas de résignation ou de pessimisme de ma part, j’étais même persuadée, naïve, que si un de ces enfants développait une aptitude particulièrement remarquable en cours, il pourrait s’en sortir. Mais les parents ne le laisseraient jamais partir me répond avec un sourire désolé un membre de l’association.
Avec PHIA, caritas a donc créée il y a 9 mois une école au sein du bidonville de Madanpur Khalar au sud de Delhi. Ils y accueillent environ 160 enfants par jour. Les deux salles de classe sont exiguës, une partie du cours se déroule même dans le couloir.
Nous en profitons pour aller voir quelques familles. Et me rendre compte des conditions dans lesquelles elle vivent, entourées de milliers de déchets à trier et autant de mouches avec qui cohabiter.
Avec la fondation Deppti, c’est encore des écoles qui ont été créées pour les enfants ragpickers, à Bhalaswa, qui est en réalité la plus grande décharge à ciel ouvert de delhi qui accueille chaque jour 2,7 tonnes et qui en fait une montagne de déchets.
C’est ahurissant, choquant, démesuré, bien sûr complètement insalubre et c’est pourtant là que vivent ses familles au plus près de leurs ressources.
Les enfants, toujours sales, crapahutent dans cet environnement. Au sol, c’est de la terre et des déchets mélangés, souvent boueux, et ils y plongent leurs pieds nus sans se poser de questions.
Mais au milieu de tout ça, des écoles fleurissent grâce aux différents programmes.
Les ragpickers sont une communauté qui malgré leur mission très importante au sein de la société indienne sont encore moins bien traités que les intouchables. 17% des déchets sont ramassés par eux et cela représente 600 000 Rs d’économisé par la municipalité. Mais autant de manque à gagner par les compagnies privées chargées de ramasser les ordures qui en conséquence persécutent les ragpickers.
Autre problème, la majorité des ragpickers sont originaires du Bangladesh, ils ne sont donc pas indiens, n’appartiennent à aucune caste et n’ont par conséquence aucuns droits. De fait, ils ne peuvent pas être soignés alors que leurs conditions de vie les exposent à des maladies graves.
C’est aussi donc pourquoi se battent ces associations : faire reconnaître le statut de ragpickers (comme cela a été fait par exemple en Colombie) et enfin leur donner une identité, et peut-être un avenir pour les prochaines générations.
Voilà, Delhi m’a montré son visage le plus sordide et le plus miséreux. Mais l’inde, ce n’est pas que ces bidonvilles, heureusement.
Je pars demain dans le Chhattisgarh avec 22 heures de train au compteur !
Et puis, pour finir sur une note un peu plus légère, on m’a offert des fleurs (elles sentaient bon!!!) mais elles avaient un détail extraordinaire ; elles brillaient de mille paillettes !
Et c’est sur ces petites étincelles symbole de lumière et d’espoir que je vous laisse.
Merci de m’avoir lue.
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