L’état du Chhattisgarh n’est pas riche de ses monuments, il y en a peu. Plus de sa nature car il y a quelques grands parcs nationaux pour qui veut courir après le tigre (ou l’inverse..)
Mais le Chhattisgarh est riche de sa culture et de ses différentes ethnies et c’est une d’entre elles que je découvre aujourd’hui. Les Ramnamis, cette minorité qui n’existe que dans cette terre reculée.
Un jour, à la fin du 19ème siècle, un homme se plaignait de douleurs tellement fortes qu’il a voulu prier son Dieu, Rama, pour que sa douleur cesse, allant même jusqu’à se tatouer le nom de Rama sur le corps. Par miracle, en quelques jours, il a été guéri.
Son histoire a vite fait le tour des villages et on a commencé à se tatouer le nom de Rama sur le corps, d’où las Ramnami « les noms de Dieu ». Puis cette dévotion religieuse a pris une dimension plus politique.
En effet, les ramnamis avant 1955 faisaient partie des intouchables, la classe la plus basse et à ce titre, on leur interdisait l’entrée des temples. Par défiance envers les classes plus élevées ils se sont tatoués entièrement le corps du nom de Rama.
On ne sait pas combien ils sont actuellement, 20 000, 100 000 ? Une goutte d’eau dans l’océan indien. Ce que je sais c’est qu’il ne reste que 5 ramnamis entièrement tatoués et c’est donc eux que je veux rencontrer à tout prix car derniers vestiges d’une culture bientôt éteinte.
Depuis la ville de Sarangarh que je rejoins en bus depuis Raipur en 5 heures, il ne nous reste plus, à mon guide et moi, que d’aller à la recherche de ces tatoués.
Et j’ai de la chance, je rencontre tout d’abord Punai Bai. À presque 80 ans, c’est la dernière femme ramnami entièrement tatouée. Presque une divinité vivante, elle est à ce point importante qu’avec son bâton de pèlerin, elle se déplace encore de village en village visiter les familles ramnamis.
Quand je la rencontre, je suis émerveillée, peu de gens ont fait l’effet sur moi d’un aimant magnétique. Elle en fait partie. L’aura de cette petite femme est presque surnaturel. Je ne me lasse de la regarder, de la toucher. Je crois qu’elle m’aurait demandé de me faire tatouer le nom de son dieu sur le champ, je l’aurai fait tellement je suis sous son charme.
Il lui suffit d’un regard et tout le monde se tait et l’écoute.
Elle s’est tatouée entièrement le corps à l’âge de 18 ans, et cela a prit 15 jours pour ce travail fait d’adulation religieuse et de douleur.
Comme les autres tatoués, elle a même le nom de Rama tatoué sur le crâne, c’est pour cela qu’elle ne se laisse pas pousser les cheveux.
Le seul endroit qui n’est pas tatoué reste la plante des pieds, la peau est trop dure pour que le sang n’afflue suffisamment.
J’ai envie de rester avec elle, de la suivre, de ne jamais la quitter car je sais que je ne la reverrai jamais mais évidemment c’est impossible. Alors voilà, Punai Bai, ma plus belle rencontre en Inde…
Mais Punai Bai n’est pas la seule que je rencontre, puisque j’ai la chance de passer deux jours au sein d’une famille ramnami dont le patriarche est entièrement tatoué.
Mahettar Ram Tandon, 74 ans, est lui tatoué depuis l’âge de 20 ans. Pour lui, cela a duré 18 jours à raison de 8 heures par jour. Quand je lui parle de douleur lorsqu’il s’est fait tatouer, il répond que c’est le Dieu Rama qui l’a aidé à surmonter la souffrance lorsque le bâton de bambou imprégnait sa chair avec du colorant à base de mélange de suie d’une lampe à pétrole avec de l’eau.
Mais il avoue quand même que le plus éprouvant a été le tatouage fait sur le bout de ses doigts, le nez et autour des yeux.
Comme tous les Ramnamis, Mahettar ne boit pas, ni ne fume et chante tous les jours le nom de Rama. De lui aussi se dégage une sagesse évidente. Son petit fils lui voue une passion immodérée, il le suit partout, tout le temps. Quand il crie et chahute, le grand père n’a qu’un regard bienveillant sur ce petit héritier à qui il apprend les chants traditionnels à partir du livre sacré de Ramayana.
Je passe donc 2 jours avec Mahettar et sa famille, à les observer. Je me sens privilégiée d’être à leurs cotés. Que cela fait-il d’être un des derniers Ramnamis entièrement tatoué ? À ma question, Mahettar esquisse un sourire en disant que chaque année, il y en a un ou deux qui décident de se faire tatouer entièrement mais qu’au fur et à mesure que l’échéance approche, ils se désistent.
Les ramnamis, s’il sont en train de perdre cette tradition du full body tattoos, n’en reste pas moins une minorité où le tatouage du dieu Rama est important et il suffit d’aller dans le temple rama de la ville à coté pour s’en rendre compte.
Des hommes et des femmes ramnamis sont reconnaissables à l’inscription de Rama sur leur front ou même sur leur visage entier. Marque visible d’un trait invisible.
Enfin, j’ai une chance infinie car je rencontre un 3ème tatoué entièrement sur le corps. Il s’agit de Kartik Ram Sadhu. Aveugle depuis tout petit à la suite d’une maladie, c’est aujourd’hui la religion qui le guide. C’est lui qui a les plus belles mains tatouées car évidemment il est exempté de travaux dans les champs. J’ai la chance d’avoir une belle discussion avec lui qui se montre très curieux de ma venue et de mon pays. Charmant et attentif Kartik.
Aujourd’hui donc, il n’y a plus que 5 ramnamis tatoués sur leurs corps entier, plusieurs centaines tatoués sur une partie de leur corps, mais la grande majorité ne porte plus de signes distinctifs hormis ce grand châle qu’ils arborent lors des cérémonies et lui aussi au nom de Rama.
Mais tatoués ou pas, ce que je retiens, c’est leur profonde gentillesse, leur accueil sincère, et leur douceur manifeste.
Les ramnamis, des intouchables devenus grands.
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Infos pratiques:
Bus depuis Raipur: départ à 12h30. 5 h de trajet. 70 rs.
Il y a 3 hotels miteux à Sarangarh situés sur la route principale ou très proche. J’ai choisi le Prasant lodge, chambre sans wifi de 300 à 900 rs.
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