On laisse nos sacs dans un boui boui de l’artère principale et on s’engouffre dans le marché installé sur un terrain à l’entrée de la ville. Ça fourmille, ça se faufile, les vaches font partie intégrante du décor, trop heureuses de pouvoir dérober quelques légumes à portée d’un coup de langue.
Les odeurs bien sûr sont omniprésentes, et je souffre de crises d’éternuement dès que je passe à coté des piments. Ce qui me rassure, c’est que les indiens en sont aussi victimes ! Tout le monde éternue et ça finit par être très drôle ce concert d’atchoums…
Je reconnais les femmes d’une des tribus du coin; les parajas. Les femmes sont facilement identifiables aux anneaux qu’elles arborent au nez. Il me faut un peu de temps pour les apprivoiser, elles semblent méfiantes de prime abord. Et c’est vrai que ce n’est pas dans mes habitudes d’établir le contact dans un marché. Je préfère de loin prendre mon temps dans les villages mais étant donné qu’on ne se déplace désormais qu’en bus, il est difficile d’atteindre leurs hameaux.
Donc contre mauvais fortune, bon cœur et je passe du temps assise près d’elles sur leur étal pour qu’elles me laissent les approcher un peu.
Mais c’est déjà l’heure de reprendre le bus pour Rayagada. Pour le coup, Rayagada n’a vraiment aucun intérêt mais c’est une bonne base pour aller visiter les alentours. C’est donc là qu’on se pose pour les quelques jours qui nous restent dans l’Orissa.
Le lendemain on reprend à nouveau un mini-bus bondé pour tenter de manière improvisée d’aller dans les villages vers Chatikona. Encore 3 heures à supporter dans un mini bus surchargé sur des routes défoncées : la campagne indienne se mérite, il faut s’armer de patience.
À Chatikona, on est débarqués de la route principale et on se retrouvent sur le bas coté, un peu seuls. Où aller maintenant ? On se laisse guider par les locaux et heureusement un ange gardien indien veille toujours à ce que la solution vienne à moi. Il suffit de louer une jeep qu’utilisent les locaux et d’aller dans les villages cachés dans cette forêt dense. Après une petite négociation rapide, c’est en compagnie d’Anil, du chauffeur, d’un petit gars qui veut nous monter les villages et de son acolyte qu’on débarque tous dans les villages. Alors, pour ce qui est de l’arrivée discrète et du contact chaleureux, c’est manqué. Je suis entourée de 4 mecs, les enfants partent en courant et les femmes se cachent. Et comme vous aurez compris que moi je ne prends pas de photo si une relation ne s’installe pas, et bien, vous n’aurez que peu de photos de cette escapade.
Et, moi, toujours à la recherche de bonnes idées, je me dis que du coup je vais en profiter pour faire quelques prises de vue avec le drone. C’est une bonne idée, n’est ce pas ?
Sauf…
…Sauf si vous vous prenez un arbre et que la bête à hélices tombe brusquement de 15 mètres pour s’exploser au sol.
Il faut le faire quand même pour se prendre un arbre, c’est visible un arbre, ça s’évite facilement un arbre, non ?!!!! En plus, l’obstacle a été détecté et la machine vous prévient que si on continue on va se le prendre. Alors, on est sensé dire à la machine arrête de bouger, stop! C’est clair aussi ça, non?
Oui mais quand votre cerveau est dyslexique, ce n’est pas clair du tout. Confirmer/ annuler l’atterrissage? Mon cerveau n’a rien compris et j’ai manifestement appuyé sur le mauvais bouton.
Un conseil à moi-même : renoncer à passer mon brevet de pilote…
Je ne pense pas qu’il soit définitivement HS mais il va devoir passer par une petite réparation du constructeur. Plus de drone donc. Mais une vidéo quand même de ce que j’ai pu filmer à venir.
Bref, après cet incident, il faut repartir vers Rayagada. Le train est une option mais on vient de le rater (pour une fois qu’il est à l’heure… !). Nous reste encore le bus, donc on se pointe sur la route principale et on attend. Un peu. Beaucoup. Trop. Pas de bus à l’horizon.
Il commence à faire nuit et j’ai pas envie d’expérimenter la nuit à la belle étoile alors je suggère à Anil : Mais si on faisait du stop ? Alors on essaie mais ça mord pas. Jusqu’à ce qu’un rutilant camion s’arrête pour nous dire qu’il va justement à Rayagada. Ni une, ni deux, on s’installe dans la cabine accompagné du chauffeur et de son apprenti qui n’a pour seul rôle que celui d’appuyer frénétiquement sur le klaxon (donc, de devenir sourd). Je crois que j’ai expérimenté beaucoup de moyens de transports mais je n’avais jamais fait le camion. J’étais tellement contente, fière d’être à bord d’un bon vieux tata rouillé mais ultra coloré, j’ai adoré ce trajet. Merci encore à ce gentil camionneur à moustache.
Il ne me reste que deux jours à passer à Rayagada et j’ai un seul objectif : voir les femmes au visage tatoué de la tribu des Kutia khond. On nous conseille d’aller voir un autre marché, celui de Kakiriguma. Et c’est reparti pour 6 heures de bus AR. Le marché est certes sympa, une nouvelle fois je ne fais qu’éternuer mais point de femmes tatouées.
J’en profite quand même pour faire quelques photos mais je me dis que faire un marché ou dix, cela revient un peu au même.
Donc, il ne me reste qu’une seule journée pour voir les femmes tatouées. Elles se trouvent au nord, à 4h30 de route. Comptez en bus 6 heures pour y aller. Non, là je crois qu’il ne faut pas que j’abuse donc je loue une petite voiture avec chauffeur pour le lendemain. Grand bien m’en a pris puisque cette nuit là, une douleur intense me réveille à 2 heures du matin. Torticolis généralisé. Je ne peux plus tourner la tête. Les heures de trajet en bus/train/camion et les oreillers pourris de l’hôtel minable où je loge ont eu raison de moi. Heureusement qu’un anti inflammatoire costaud m’a permis de retrouver un peu de mobilité au réveil.
Et c’est reparti pour la route. Cette fois on part vers Balliguda où les femmes de la tribu des kutia khond viennent au marché hebdomadaire. Mais alors, quand ça veut pas, ça veut pas : une fois sur place (donc après 4h30 de route…), on nous annonce qu’il n’y a pas de marché et qu’il se tient le samedi et non pas le jeudi. Cette bonne blague !
Mais comme à chaque problème, une solution ; je propose à Anil et au chauffeur d’aller voir dans les villages alentours puisqu’on a la voiture.
Et là, bonheur absolu. Non seulement je me retrouve dans mon élément, mais en plus on croise enfin les femmes Kutia khond ! On s’assoit, on discute, on rit. Je leur dis à quel point je les trouve magnifiques et elles me racontent l’origine de leurs tatouages. Deux versions s’affrontent. L’une dit que les femmes se tatouent pour qu’elles puissent être reconnues et dirigées vers le paradis une fois décédées. L’autre nous explique qu’un roi avait il y a quelques centaines d’années décidé de capturer les plus belles femmes de son royaume pour les violer. Pour éviter ce sort, de nombreuses femmes se sont alors « enlaidies » au travers de ces tatouages faciaux.
Peu importe laquelle de cette version est la bonne, je passe là mes plus beaux moments depuis que je suis arrivée en Inde pour ce court séjour. Oubliés le drone cassé, les heures de transports endurées, les rendez-vous manqués, mes tatouées me font tout oublier. J’ai réussi mon court séjour indien.
Puis vient le temps des adieux avec mon guide et de quitter l’état de l’Orissa. J’ai prévu de passer les deux derniers jours à Visakhaptam, que l’on nomme affectueusement Vizag, une ville d’un million d’habitants et l’un des plus grands ports de l’Inde.
Je sens que j’ai quand même besoin de me reposer et je délaisse mes hôtels pas chers pour un luxueux hotel avec piscine. Une bulle occidentale dans laquelle je me plais, je le vois comme un sas nécessaire avant de rentrer en France. Les chambres sont spacieuses, les plats variés, j’ai de l’eau chaude et un service aux petits soins. J’y suis tellement bien que je n’y bouge pas les premières 24 heures. Le lendemain en fin de journée, je me dis qu’il serait pas mal de sortir de ma tanière et je décide d’aller faire un tour à la plage de Vizag.
Je sors de ma tour dorée et je me retrouve à nouveau dans l’effervescence indienne. Les couleurs, les rires, les selfies, les sourires bienveillants, les regards gentiment inquisiteurs. C’est la journée internationale de la femme en ce 8 Mars et cela semble un événement important au nombre de femmes qui viennent spontanément me souhaiter un « happy women day ». Les indiens sont assis sur la plage, discutent, mangent, jouent, rient.
Et moi dans tout cela, je respire une dernière fois l’inde, je prends comme un cadeau les rires que les indiens m’offrent, les sourires qu’ils m’adressent. Je prends conscience que demain, je quitte cette terre qui m’est si chère.
Le soleil décline, je dois partir.
Et je me mets à pleurer.
Merci de m’avoir lue. À très bientôt.
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